Introduction
L’avènement de la finance ‘tokenisée’ ouvre de nouvelles voies pour les coopératives agricoles et vitivinicoles, notamment à travers la tokenisation des titres participatifs à impact. Cette innovation permet non seulement une valorisation accrue de leurs actifs immatériels, comme le capital des marques et le capital ESG (Environnemental, Social et de Gouvernance), elle est surtout porteuse de véritables disruptions pour élargir l’éventail des investisseurs et lutter contre le greenwashing.
Les coopératives en première ligne du développement durable, mais pas toujours avec les fonds propres suffisants …
Selon l’Observatoire 2020 du Crédit Agricole, les fonds propres des coopératives agricoles représentent 26% du chiffre d’affaires versus 43% pour les entreprises du secteur agroalimentaire (IAA) ce qui entraîne des investissements en retrait (2% du CA vs 5% pour l’IAA).
Aujourd’hui, les coopératives agri-agro sont entravées dans leurs investissements par leur manque de fonds propres, à la différence des autres entreprises de l’agroalimentaire qui peuvent valoriser leurs actifs immatériels en accédant à de nombreux investisseurs sur les marchés financiers ou sur le marché de la dette privée. Ces investissements pour les coopératives sont d’autant plus nécessaires pour faire face à la double transition climatique & énergétique et pour rester compétitives.
Les coopératives emblèmes du capitalisme durable se financent principalement par auto-financement et par prêts bancaires. Par manque de solution ou d’infrastructure de financement alternatif adaptée, elles accèdent à moins de sources de financement que les entreprises classiques.
Les solutions de financement alternative, comme la dette privée ou le crowdfunding, sont peu utilisées parce qu’il y a une méfiance des coopératives vis-à-vis des investisseurs externes et réciproquement une méconnaissance des investisseurs qui jugent trop fragiles et surtout illiquides l’investissement dans des coopératives.
A l’instar des actions pour les entreprises classiques, les coopératives peuvent utiliser les titres participatifs à impact pour renforcer leurs fonds propres et pour valoriser leurs actifs immatériels (marques, capital ESG, leurs perspectives de croissance, …) tout en conservant leur modèle coopératif.
Qu’est-ce que les titres participatifs à impact ?
Les titres participatifs ont été créés par la loi n° 83–1 du 3 janvier 1983 [1] sur le développement des investissements et la protection de l’épargne, pour permettre aux sociétés par actions appartenant au secteur public et aux coopératives, de se financer auprès du public en émettant un instrument de “ fonds propres “ non-dilutif.
Les titres participatifs sont des titres financiers. Ils appartiennent à la catégorie des titres de créance représentant chacun un droit de créance sur la personne qui les émet (CMF, art L. 213–0–1).
Emettre des titres participatifs est aujourd’hui la méthode la plus efficace pour renforcer les fonds propres d’une coopérative [2]. Les titres participatifs :
- sont des instruments non-dilutifs ;
- s’inscrivent dans les fonds propres sans modifier la structure du capital ;
- ne donnent pas de droit de vote ;
- sont remboursables (si souhaité par l’émetteur) après un délai minimum de sept ans ;
- éligible à la réduction de 25% de l’IR pour les Coopérative PME.
La rémunération comporte une partie fixe (>60%) et une partie variable (article L 228–36 C.com) . La part variable peut intégrer des critères d’impact ESG (ex. : réduction de l’empreinte carbone de la coop agri, développement local, …) et cela permet ainsi de créer des titres participatifs à impact.
Principe de la Tokenisation des actifs d’une entreprise ?
La tokenisation des actifs, en s’appuyant sur la technologie blockchain, transforme les droits sur un actif en un jeton numérique (token en anglais) et assure ainsi une traçabilité, une transparence et une sécurisation renforcée des transferts de valeurs. La tokenisation des actifs va bien au-delà de la simple digitalisation ou une titrisation des actifs, elle permet de digitaliser le protocole de sécurisation de transfert de valeurs entre deux parties prenantes qui ne se connaissent pas.
Ce processus digitalisé et sécurisé ouvre ainsi la voie à une multitude d’avantages pour les entreprises, en offrant une fluidité améliorée des transactions, une réduction des coûts de transaction, une liquidité accrue et surtout un accès à un large panel d’investisseurs pour les actifs matériels ou immatériels d’une entreprise, allant des capitaux propres au capital ESG en passant par les stocks, les biens immobiliers, le capital des marques, …
Tokenisation = catalyseur renforcée de la valorisation des Actifs Immatériels
Les coopératives agricoles et vinicoles possèdent souvent un riche patrimoine en actifs immatériels, tels que des marques reconnues, des appellations d’origine contrôlée (AOC), ou encore des pratiques durables certifiées. La tokenisation permet de mettre en lumière et de valoriser ces éléments autrement difficiles à quantifier. En créant des titres participatifs à impact, ces entités peuvent capitaliser, des entreprises classiques, sur la valeur des marques et sur leur engagement envers le développement durable, leurs certifications, ou leur contribution aux objectifs ESG.
La tokenisation des titres participatifs à impact peut révolutionner la valorisation et le financement des coopératives dans le secteur agroalimentaire, en ‘réifiant’ la valeur des marques et la valeur ESG d’une coopérative agricole ou vitivinicole au-delà de sa valeur comptable et, ce sans remettre en cause leur gouvernance et leur modèle coopératif.
A l’instar de la capitalisation d’une entreprise, la tokenisation pour renforcer la valeur d’une coopérative …
À l’image des entreprises du secteur agroalimentaire dont la capitalisation reflète la valeur de leurs marques et de leurs actifs immatériels, les coopératives peuvent, grâce à la tokenisation, offrir une représentation fidèle de leur valeur ajoutée. Les titres participatifs ‘tokenisés’ agissent comme des catalyseurs de transparence et de reconnaissance de la valeur intrinsèque des coopératives, au-delà de leurs valeurs comptables.
Attractivité des titres participatifs à impact pour les investisseurs
La tokenisation des titres participatifs à impact émerge comme une solution attrayante pour un spectre varié d’investisseurs, qu’ils soient professionnels ou particuliers. Cette attractivité repose sur plusieurs piliers :
- Meilleur Couple Rendement/Risque : Les coopératives agricoles et vitivinicoles, enracinées dans l’économie réelle et fortement attachées à leurs territoires, offrent une résilience remarquable dans la durée. Les titres participatifs “verts” capitalisent sur cette stabilité tout en promettant des retours financiers compétitifs, adossés à des actifs tangibles et immatériels de valeur.
- Impacts Positifs : L’investissement dans des titres participatifs à impact permet de conjuguer retours financiers et contributions à des projets ayant un impact environnemental et social positif. Cela s’aligne parfaitement avec les préoccupations croissantes des investisseurs envers les questions de durabilité et d’impact sociétal.
- Confiance et Transparence : La technologie blockchain assure une traçabilité et une sécurité maximale, éléments rassurants pour les investisseurs en direct. Ces derniers peuvent ainsi suivre en temps réel l’utilisation de leur capital et mesurer l’impact de leur investissement.
- Marché secondaire : La tokenisation permet la création de marchés secondaires plus dynamiques pour des instruments financiers non cotés, comme les titres participatifs, qui sont traditionnellement très peu liquides. En rendant les Security Tokens accessibles sur des plateformes d’échanges en gré à gré (OTC), cela augmente la visibilité des instruments et la facilité avec laquelle les acheteurs potentiels peuvent les acquérir de manière sécurisée et à moindre coût.
Challenges surmontés et voie à suivre
La mise en œuvre de la tokenisation des titres financiers dans les coopératives agricoles et viticoles n’est pas exempte de défis. Même si les obstacles réglementaires et fiscaux sont maintenant levés, la nécessité d’une infrastructure technologique adaptée et la sensibilisation des parties prenantes constituent des étapes clés à franchir.
La loi (DDADUE) du 9 mars 2023 a procédé à deux modifications importantes des articles L. 211–3 et L. 211–7 du code monétaire et financier, sur les modalités de représentation des titres financiers cotés et non cotés dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP ou DLT en anglais).
Toutefois, avec l’évolution du cadre légal autour des Security Tokens (titres financiers ‘tokenisés’) et une prise de conscience accrue des avantages de la tokenisation, les perspectives sont prometteuses.
Conclusion
La tokenisation des titres participatifs à impact représente une opportunité sans précédent pour les coopératives agricoles et viticoles de valoriser leurs actifs immatériels, d’attirer des capitaux diversifiés, et de promouvoir une finance plus verte et inclusive. En naviguant avec succès à travers les défis réglementaires et technologiques, elles peuvent s’ouvrir à une nouvelle ère de financement et de reconnaissance de leur valeur réelle, bénéficiant ainsi à l’ensemble de leur écosystème.
L’approche innovante de la tokenisation, combinée à la solidité et à la résilience des coopératives agricoles et viticoles, crée un attrait unique pour un spectre varié d’investisseurs. Que ce soit pour les investisseurs institutionnels ou les particuliers, l’opportunité d’investir dans des entités qui offrent non seulement des retours financiers compétitifs mais aussi des impacts positifs sur l’environnement et la société représente un double avantage. Cela marque un tournant dans la manière dont les investissements peuvent être envisagés, combinant rentabilité et responsabilité de façon harmonieuse.
[1] Titres participatifs créés par la loi n° 83-1 du 3 janvier 1983
[2] Rapport du Senat – mai 2019 – La France, un champion agricole : pour combien de temps encore ?
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